Ce mécanisme psychologique universel sert à garder le contrôle en brouillant la vérité. Familles, accusés, politiques : partout, la même arme rhétorique

Table des matières
1 Le gaslighting, de l’intime au collectif
1.1 Définition du gaslighting.
1.2 Le cœur du mécanisme : créer le brouillard par le glissement des arguments.
1.3 Le gaslighting dans le couple : quand la réalité se brouille à deux.
1.4 Transition vers la sphère politique.
1.5 Gaslighting politique : quand la confusion devient une arme
1.7 Comprendre le gaslighting politique.
1.8 Les techniques de gaslighting en politique.
1.8.1 Introduction du cas Kirk.
1.8.2 Mélanger des sujets sans lien direct
1.8.3 Projeter ses blessures vers l’extérieur
1.8.4 Inverser les rôles : l’agresseur devient victime.
1.8.5 Diluer et entretenir le flou.
1.9 Figures et intensités différentes.
1.9.1 Quelles solutions saines entrevoir ?
1.10 Les effets sur la société.
1.11 Parallèle judiciaire : quand le gaslighting s’invite dans les procès
1.12 Histoire : Vichy, un gaslighting d’État
1.13 Histoire : l’inquisition.
1.14 Autres gaslightings collectifs.
V02-10/25
1 Le gaslighting, de l’intime au collectif
1.1 Définition du gaslighting
Le mot gaslighting vient du film Gaslight (George Cukor, 1944), où un mari manipule sa femme pour la faire douter de sa propre raison : il baisse progressivement la lumière à gaz et nie ce qu’elle voit. C’est de là que vient l’expression : faire du gaslighting, c’est altérer la perception d’autrui jusqu’à lui faire croire que sa vision de la réalité est fausse.
En psychologie, le terme désigne une manipulation qui vise à semer le doute dans la mémoire, la perception ou le jugement de l’autre, jusqu’à lui faire perdre confiance en sa propre expérience.
Selon le Merriam-Webster Dictionary, c’est :
« La manipulation psychologique d’une personne sur une période prolongée, la conduisant à douter de sa mémoire, de sa perception ou de sa santé mentale. »
Le Cambridge Dictionary ajoute :
« Faire croire à quelqu’un que sa compréhension d’une situation est fausse, afin de le rendre confus ou dépendant. »
Mais au-delà des définitions, le gaslighting est un brouillage du lien : une distorsion de la réalité partagée, où l’un cherche à garder le pouvoir en niant la perception de l’autre.
C’est souvent un réflexe inconscient de verrouillage émotionnel : la peur de perdre le contrôle pousse à manipuler la perception plutôt qu’à affronter la vérité.
1.2 Le cœur du mécanisme : créer le brouillard par le glissement des arguments
Le gaslighting repose sur une technique subtile : déplacer sans cesse le terrain de la discussion.
Celui qui manipule commence sur un sujet, puis glisse vers un autre, puis encore un autre, jusqu’à relier des thèmes sans rapport logique.
C’est une forme de fuite : plutôt que d’assumer un point précis, il élargit le champ, détourne la conversation et sème la confusion.
Ce procédé a deux effets :
- il désoriente l’autre, qui tente de suivre le fil logique et de comprendre chaque argument isolément ;
- il inverse la charge : le manipulateur projette ses propres comportements ou contradictions sur l’autre.
L’interlocuteur, de bonne foi, cherche alors à rationaliser ce qui est irrationnel.
Il s’épuise à trouver une cohérence là où il n’y en a pas, car le discours ne répond plus à la logique des faits, mais à celle des blessures non reconnues du protagoniste verrouillé.
Ainsi, la discussion devient un labyrinthe émotionnel où le vrai et le faux se confondent, jusqu’à brouiller la perception même du réel.
1.3 Le gaslighting dans le couple : quand la réalité se brouille à deux
Avant d’envahir la sphère politique, le gaslighting naît souvent dans l’intime, au cœur d’un lien amoureux ou familial.
Il s’inscrit dans ce que j’appelle la bulle dramatique (inspirée du triangle de Karpman voir article bulle) : deux êtres se retrouvent enfermés dans un scénario figé, où l’un prend inconsciemment le contrôle et l’autre doute de plus en plus de lui-même.
Le partenaire verrouillé (EPV) ne supporte pas d’être remis en question, il déstabilise par petites touches. Pour préserver son image, il reformule les faits, nie les émotions de l’autre, ou retourne la situation à son avantage. Il alterne le chaud et le froid, les reproches et les justifications, les silences et les envolées.
Il projette sur l’autre ses propres comportements, inverse les accusations, et aborde plusieurs sujets à la suite, parfois sans lien apparent. Ce mélange brouille les pistes : l’autre ne sait plus s’il doit se défendre, s’expliquer ou se justifier.
« Tu exagères », « tu inventes », « tu es trop sensible », « ce n’est pas ce que j’ai dit », « tu as trop d’émotions ». « As-tu fait ça ? Il manque ceci. Je ne t’ai jamais demandé de faire ça, pourquoi l’as-tu fait ? Et ça, c’était pour hier, pourquoi ce n’est pas prêt aujourd’hui ? Tu n’y comprends rien ! Tu aurais aussi pu traiter ça, et ce n’est toujours pas fait ! »
Ces échanges en apparence banals sont redoutables : ils font perdre toute cohérence temporelle et émotionnelle.
L’autre tente de répondre point par point, de prouver sa bonne foi, mais la logique glisse sans cesse : ce n’est plus une discussion, c’est une tempête d’injonctions contradictoires.
Le partenaire sensible (EPS) cherche à apaiser, à comprendre, à remettre de l’ordre. Mais il s’épuise, car il essaie de donner un sens rationnel à une parole gouvernée par la peur et la blessure.
Peu à peu, il perd confiance dans sa perception. Il doute de sa mémoire, de ses ressentis, et cherche la validation de celui qui le déstabilise. C’est le cœur du gaslighting : faire douter l’autre de sa réalité pour garder le contrôle.
Clé de sortie : reconnaître le brouillage, le brouillard, la confusion comme un signal, cesser de répondre à chaque contradiction, revenir aux faits concrets et au présent, à soi, et réapprendre à faire confiance à son propre ressenti. C’est le premier pas pour sortir de la bulle dramatique et restaurer un lien vivant, où la parole éclaire au lieu d’obscurcir.
Cela passe aussi par poser des limites : dire « stop » quand la discussion devient incohérente, refuser d’entrer dans le piège du chaud et du froid, et choisir de ne plus justifier l’injustifiable.
Car poser une limite, ce n’est pas rompre le lien, c’est protéger la clarté du dialogue. C’est la seule manière de rétablir un espace où la parole retrouve son sens.
Note : Ce mécanisme ne se limite pas au couple. Il peut s’exprimer dans toute relation où un déséquilibre émotionnel s’installe : entre parent et enfant, entre frères et sœurs, entre collègues, ou même au sein d’un groupe social ou politique. La dynamique reste la même à toutes les échelles : une personne verrouillée dans la peur cherche à reprendre le contrôle en brouillant la perception de l’autre.
1.4 Transition vers la sphère politique
Ce mécanisme de glissement et de confusion, que l’on observe dans les relations intimes, se retrouve à plus grande échelle dans la sphère publique.
Car ce qui se joue entre deux personnes peut aussi se jouer entre un orateur et une foule.
Voyons maintenant comment cette dynamique de brouillard s’exprime dans le discours politique, à travers un cas concret : celui de Charlie Kirk.
1.5 Gaslighting politique : quand la confusion devient une arme
On parle beaucoup du gaslighting dans le couple ou la famille, comme une technique de manipulation psychologique qui consiste à semer le doute, inverser les rôles et brouiller la perception de la réalité. Mais ce que l’on voit moins, c’est à quel point ce procédé s’invite aussi dans la sphère politique.
Car la politique n’est pas seulement affaire de décisions ou de programmes : elle est aussi un art du récit. Et ce récit peut, parfois, devenir un instrument de confusion. Mélanger des sujets sans lien, inventer des connexions imaginaires, projeter la faute sur un ennemi désigné… autant de façons de créer une impression de cohérence, là où il n’y a souvent que de la peur ou de la blessure projetée vers l’extérieur.
De Charlie Kirk à Donald Trump, de Vladimir Poutine à Nicolas Sarkozy, de François Hollande à Emmanuel Macron, les styles diffèrent mais la mécanique reste la même : brouiller la réalité pour tenir l’illusion d’un cap. Chez certains, elle prend la forme d’un discours brutal et polarisant. Chez d’autres, elle se traduit par un flou entretenu ou une dilution des contradictions.
Dès lors, une question dérangeante émerge :
le gaslighting est-il devenu une nécessité structurelle du pouvoir, pour rassembler et donner une apparence de rationalité face à une foule traversée par la peur et l’irrationnel ?
Cet article propose d’explorer ce mécanisme, d’en donner des exemples concrets, et surtout d’en montrer les effets : confusion, exclusion, fabrication de faux martyrs… autant de poisons insidieux qui gangrènent notre confiance collective.
1.6 La racine du gaslighting
Derrière la rhétorique, il y a un mécanisme plus profond. Le gaslighting n’est pas seulement une stratégie calculée : c’est aussi une technique de survie inconsciente. Le cerveau verrouillé, incapable d’affronter ses propres peurs et blessures, détourne l’attention vers l’extérieur.
Au lieu de reconnaître sa vulnérabilité, il projette ses insécurités sur « l’autre », l’ennemi, la victime, l’opposant, et fabrique un récit qui protège son ego. C’est cette fuite intérieure qui produit le brouillage : disqualifier, amalgamer, inverser.
En ce sens, le gaslighting n’est pas seulement une arme de pouvoir, c’est une manifestation d’un verrou émotionnel, une incapacité à se confronter à la douleur intérieure.
Celui qui fut un enfant sensible et blessé, incapable de traverser sa douleur, devient un enfant perdu verrouillé / un adulte verrouillé (voir article invisible et article enfant). Sa peur de souffrir de nouveau le pousse alors à contrôler, à inverser, à brouiller la réalité. Le gaslighting n’est pas né de la force : il est l’ombre d’une fragilité jamais reconnue.
Le gaslighting naît quand un cerveau blessé préfère projeter sa douleur à l’extérieur plutôt que de l’affronter en lui-même. (voir article epv)
1.7 Comprendre le gaslighting politique
Le gaslighting est un procédé qui consiste à brouiller la perception, inverser les rôles et semer le doute. Il est né de l’analyse des dynamiques intimes, dans le couple, la famille, mais il s’étend à d’autres sphères.
En politique, il ne s’agit plus seulement de manipuler un partenaire, mais la foule. En jouant sur la peur et les blessures collectives, le leader fabrique une réalité alternative qui rassure ses partisans tout en désorientant ses opposants.
1.8 Les techniques de gaslighting en politique
1.8.1 Introduction du cas Kirk
Je pense qu’il est important de préciser d’emblée la démarche : voyons et analysons un cas concret dans le détail, afin d’en extraire la moelle et de comprendre précisément le mécanisme de gaslighting politique. Ce premier exemple servira de fil rouge, car ce que l’on observe ici, nous pourrons ensuite le retrouver, sous des formes différentes, chez d’autres responsables politiques bien connus.
1.8.2 Mélanger des sujets sans lien direct
Dans son discours de Mankato (Minnesota, octobre 2021), Kirk illustre parfaitement cette mécanique de brouillage. En quelques minutes, il passe de la mort de George Floyd (qualifié de « scumbag « ) aux accusations de drogue, aux slogans militants, aux émeutes de 2020, aux cérémonies universitaires, et jusqu’aux statistiques de criminalité.
Ce procédé typique de gaslighting politique fabrique une pseudo-cohérence en amalgamant des réalités sans lien, et détourne l’attention de la violence initiale.
Voir video et transcript https://www.youtube.com/watch?v=yTF19XtS1TQ
Voici trois extraits significatifs de cette vidéo qui montrent comment le gaslighting politique opère concrètement :
Exemple 1 : Discrédit de la victime (extrait de la vidéo de son discours)
« George Floyd was a scumbag. Now, does that mean he deserves to die? That’s a totally different thing… but he had ten times the legal limit of fentanyl, illegally was counterfeiting money, resisting arrest, and once put a gun to a pregnant woman’s stomach. »
Traduction :
« George Floyd était une ordure. Maintenant, est-ce que cela veut dire qu’il méritait de mourir ? C’est une toute autre question… mais il avait dix fois la limite légale de fentanyl, il faisait de la fausse monnaie, il a résisté à son arrestation et, un jour, il a braqué une femme enceinte avec une arme pointée sur le ventre. »
Ici, Kirk insulte Floyd et enchaîne une série d’accusations sans aucun lien direct avec sa mort. Il mêle éléments judiciaires passés, interprétations et insinuations morales pour créer une impression de cohérence. Ce procédé est typique du gaslighting politique : brouiller la lecture des faits, détourner l’attention de la violence policière, et installer une logique perverse où la victime devient, peu à peu, responsable de son propre sort.
Ce glissement rhétorique repose sur une mécanique simple :
-On insulte (pour discréditer).
-On accumule des éléments disparates, vrais ou faux peu importe : la véracité n’est pas le sujet, seule compte l’impression. Drogue, délinquance, moralité… tout devient prétexte.
-On suggère une causalité morale : « ce n’était pas un homme bien, donc… »
La mort n’est plus perçue comme une violence, mais comme la conséquence « logique » d’une mauvaise vie.
Le public devient juge intérieur, et, sans le savoir, complice symbolique d’une seconde condamnation : celle qui tue encore, mais cette fois par le langage.
C’est ainsi que Kirk transforme un homicide en récit de justification, en brouillant la frontière entre justice et vengeance morale (pour explication voir article ombre).
Analyse : Kirk mélange causes de la mort, éléments pseudo judiciaires passés, non vérifiés, et insultes.
Le procédé vise à brouiller les responsabilités : la victime n’est plus une victime, mais une figure indigne.
Ce glissement détourne l’attention de la violence policière et efface l’essentiel : la mort d’un homme, inhumaine, injustifiable, qui n’aurait jamais dû avoir lieu.
Ce passage révèle aussi une dimension plus profonde : l’absence totale d’empathie.
Kirk ne parle pas d’un homme mort d’une mort insupportable, mais d’un dossier, d’une caricature morale. Son ton est froid, détaché, presque clinique. Cette distance émotionnelle est au cœur du gaslighting politique : nier la souffrance pour rendre la manipulation possible.
Son discours ne se contente pas de déshumaniser George Floyd, il désensibilise aussi l’auditoire. En répétant ce type de rhétorique, il amène chacun à se couper de son propre ressenti, à se protéger de la compassion. C’est le stade ultime du verrouillage émotionnel : lorsque celui qui parle est déjà déconnecté de l’humain, et qu’il entraîne l’autre dans cette même anesthésie.
Exemple 2 : Amalgames sociaux
« Because of one cell phone video, we now have black-only dormitories at Western Washington University and black-only graduation ceremonies at Columbia University. »
Traduction :
« À cause d’une simple vidéo prise avec un téléphone portable, nous avons maintenant des dortoirs réservés aux Noirs à l’université Western Washington et des cérémonies de remise de diplômes uniquement pour les étudiants noirs à l’université Columbia. »
Il établit un lien artificiel entre la mort de Floyd et des initiatives universitaires, créant l’illusion d’un effet direct.
Analyse : Il établit une relation directe entre une tragédie policière et des initiatives universitaires. C’est un amalgame typique du gaslighting : créer un faux lien de causalité pour donner l’illusion d’une menace globale.
Exemple 3 : Minimisation et inversion accusatoire
« Otherwise known as Floyd-apalooza, when we decided to destroy our nation. I’m so angry about systemic racism, I’m going to go burn down a Wendy’s… Or rob Adidas sneakers from Mall of America; that won’t bring George Floyd back. »
Traduction :
« Autrement dit, ce qu’on a appelé « Floyd-apalooza », ce moment où nous avons décidé de détruire notre nation. « Je suis tellement en colère à propos du racisme systémique que je vais aller brûler un Wendy’s… ou voler des baskets Adidas au Mall of America ; ça ne ramènera pas George Floyd. »
La phrase caricature et minimise les mobilisations en en faisant des scènes de pillage, inversant la charge, il réduit les manifestations à des actes de vandalisme, les manifestants deviennent les « destructeurs » plutôt que des témoins ou des victimes réagissant à une injustice, ce qu’il occulte totalement ici c’est bien le sentiment d’impunité et d’injustice liée à la mort de G Floyd.
Analyse : Les mobilisations sont réduites à des caricatures de pillages. C’est une inversion accusatoire : les militants deviennent les « vrais destructeurs » (selon Kirk), et la cause initiale (le meurtre de Floyd) disparaît derrière une image dégradée.
Ces extraits révèlent la mécanique typique du gaslighting politique :
-juxtaposer des faits sans lien pour semer la confusion,
-disqualifier la victime afin de détourner la responsabilité,
-transformer une revendication sociale en caricature destructrice.
– Manipuler l’opinion pour mieux la contrôler, en la ralliant à l’irrationnel d’un esprit verrouillé par la peur.
Ainsi naît le véritable danger : quand la manipulation n’est plus perçue comme telle, et que le brouillard devient un climat. Le gaslighting n’est plus une stratégie, mais un système.
Ce brouillage n’éclaire rien : il obscurcit les faits et renforce la peur.
En politique comme ailleurs, le gaslighting ne dit pas la vérité : il fabrique du brouillard pour garder le pouvoir.
Et c’est bien là le danger majeur : lorsque le gaslighting devient culturel, il ne s’agit plus d’un outil de manipulation ponctuel, mais d’un mode de fonctionnement collectif.
Il façonne nos perceptions, oriente nos émotions et brouille la frontière entre le vrai et le vraisemblable.
Ce mécanisme, qu’il soit porté par un individu ou par une institution, transforme peu à peu la société entière en champ de confusion permanente.
De là naît une question essentielle : quels en sont les effets sur la conscience collective, sur le lien social et sur notre rapport à la vérité ?
1.8.3 Projeter ses blessures vers l’extérieur
Au lieu de reconnaître leurs propres insécurités, certains leaders les projettent. Les LGBTQ+, les migrants, les opposants, deviennent des « menaces ». C’est la traduction extérieure d’une peur intérieure, verrouillée depuis longtemps.
1.8.4 Inverser les rôles : l’agresseur devient victime
Trump a présenté les émeutiers du Capitole comme des « patriotes persécutés ». Poutine décrit son invasion comme une « défense ». Dans les deux cas, l’agresseur se maquille en victime pour légitimer ses actes.
1.8.5 Diluer et entretenir le flou
D’autres, comme François Hollande ou Emmanuel Macron, utilisent un style plus feutré : esquiver, juxtaposer, diluer les contradictions. Le « en même temps » macronien incarne cette logique : donner l’impression de cohérence en tenant deux positions opposées. Cela séduit certains, mais nourrit la méfiance d’autres.
1.9 Figures et intensités différentes
Ce que Kirk illustre dans un discours, d’autres responsables politiques l’ont décliné selon des styles variés, du plus brutal au plus feutré, en passant par l’amalgame ou le flou.
-Charlie Kirk et Donald Trump : gaslighting brutal, polarisant, fabrication de martyrs, inversion accusatoire.
-Vladimir Poutine : inversion accusatoire institutionnalisée, justifiant l’agression par la défense.
-Nicolas Sarkozy : gaslighting « soft », amalgame sécurité/immigration/identité nationale.
-François Hollande et Emmanuel Macron : gaslighting feutré, dilué, entretenant une impression de flou.
Cette mécanique traverse tout l’échiquier politique.
-Jean-Marie Le Pen a longtemps pratiqué un gaslighting brutal, associant immigration, insécurité et crise économique dans une même équation.
-Marine Le Pen a adouci le ton mais conserve cette logique d’amalgame, en présentant l’immigration comme la cause transversale des problèmes sociaux et économiques.
-François Bayrou, dans un registre beaucoup plus feutré, a parfois brouillé les repères en mêlant crise morale, institutions et affaires individuelles dans une même narration.
Trois exemples français permettent d’illustrer ces déclinaisons de manière concrète.
-Nicolas Sarkozy et le brouillard judiciaire :
On retrouve cette logique jusque dans ses affaires personnelles : face aux accusations sur le financement libyen, il a eu recours au fameux « on n’y comprend rien », une manière de transformer la gravité d’un soupçon en confusion générale, et donc en doute. Le brouillard protège là encore.
Interrogé sur l’affaire du financement libyen de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy a eu cette formule restée célèbre : « on n’y comprend rien ».
Analyse : Au lieu d’éclaircir les faits, il installe un climat d’inintelligibilité. La confusion devient un écran de fumée qui dilue la responsabilité et entretient le doute. C’est une forme de gaslighting « soft » : transformer une accusation en un brouillard où la vérité se perd, et où l’auditeur finit par douter non pas de l’accusé, mais de la cohérence de l’affaire elle-même.
-Jean-Marie et Marine Le Pen : l’amalgame permanent
Jean-Marie Le Pen a bâti l’essentiel de sa rhétorique sur un enchaînement d’amalgames : immigration = insécurité = chômage = perte de l’identité nationale. Dans ses discours, des phénomènes très différents étaient volontairement confondus pour donner l’illusion d’une causalité unique et évidente.
Marine Le Pen a adouci le ton, mais conserve ce procédé : présenter l’immigration comme la racine de presque tous les problèmes, de l’économie au terrorisme, en passant par la cohésion sociale.
Analyse : Cet amalgame est une forme de gaslighting « brutal »→ il simplifie à outrance une réalité complexe, brouille les responsabilités réelles et fabrique un récit unique qui canalise la peur collective vers un bouc émissaire.
-Emmanuel Macron et le « en même temps »
Depuis 2017, Emmanuel Macron a fait du « en même temps » sa marque de fabrique : juxtaposer deux positions contraires dans un même discours, être « et de gauche, et de droite », soutenir « et les entreprises, et les salariés », vouloir « et la rigueur, et la justice sociale ».
Analyse : Cette rhétorique donne l’impression d’équilibre et de complexité, mais entretient aussi un flou permanent. Le « en même temps » peut séduire en ouvrant toutes les portes, mais il brouille les repères, évite de trancher et nourrit la méfiance. C’est une forme de gaslighting feutré : une dilution du conflit réel dans un récit consensuel, où chacun croit entendre ce qu’il veut, sans que la réalité ne soit clarifiée.
Ces variations montrent que le gaslighting n’est pas l’apanage d’un camp ou d’une idéologie : il traverse tout l’échiquier politique. La vraie question n’est pas de juger, mais de chercher comment s’affranchir de ce brouillard.
Autrement dit : la seule issue, toujours, c’est de revenir aux faits, sans confusion ni amalgame.
Chaque exemple peut inspirer une « clé » : une manière plus saine de sortir du brouillard et de retrouver un langage politique clair.
1.9.1 Quelles solutions saines entrevoir ?
Dénoncer ces techniques est une chose, mais il est tout aussi important d’imaginer un langage politique plus sain, pour ne pas rester dans le constat, qui inverse la logique du gaslighting. Cela suppose de nommer les contradictions au lieu de les masquer, de reconnaître la complexité sans la réduire à des boucs émissaires, et de choisir la clarté plutôt que le brouillard
Il ne s’agit pas ici de juger tel ou tel responsable politique, mais de comprendre les procédés qu’ils utilisent, consciemment ou non, et qui relèvent tous du gaslighting. Les pointer du doigt n’aurait que peu d’intérêt si on n’ouvre pas en même temps une issue : comment parler et agir autrement, comment s’affranchir de ce brouillard ? C’est dans ce sens que chaque exemple peut inspirer une « clé » : une manière plus saine de nommer les contradictions, d’assumer la complexité, et de remettre la clarté et les faits au centre.
-Macron et le « en même temps »
Plutôt que de juxtaposer des contraires, la démarche de remédiation serait de nommer les contradictions clairement, puis d’expliquer ce qui est priorisé et pourquoi.
Il est possible de se dire « nous voulons soutenir les entreprises pour l’emploi, mais cela crée une tension avec la justice sociale. Voici comment nous allons arbitrer ».
Une clé : assumer les contradictions plutôt que de les masquer, et expliquer clairement les arbitrages qui en découlent.
-Le Pen et l’amalgame simplificateur
Au lieu de réduire des problèmes complexes à une seule cause (ex. immigration), un comportement plus sain consisterait à multiplier les explications : distinguer l’économique, le social, le sécuritaire, et montrer leurs interactions réelles.
Une clé : ne pas nier la complexité en la réduisant à une simplification simpliste ; apporter des nuances sans effrayer, et ouvrir des explications sans écraser.
-Sarkozy et le « on n’y comprend rien »
Face à des affaires complexes, le comportement plus sain serait de clarifier les faits et reconnaître les zones d’ombre, plutôt que de les transformer en brouillard.
Une clé : reconnaître les zones d’ombre au lieu de les amplifier, et choisir la transparence plutôt que l’écran de confusion.
1.10 Les effets sur la société
- Confusion collective :
Tout se mélange, plus rien n’est clair. Cette perte de repères alimente le scepticisme et la défiance.
- Exclusion et boucs émissaires :
Toujours un « eux » à désigner : minorités, étrangers, opposants (liste minoritaire sans fin…).
- Déni des injustices réelles :
Pendant que l’attention se focalise sur des ennemis imaginaires, les véritables injustices passent inaperçues.
- Fabrication de faux martyrs :
Les figures les plus clivantes deviennent des héros pour leur camp, renforçant la polarisation.
- Fragilisation de la confiance collective :
La confiance dans les institutions et entre citoyens s’effondre, à force de brouiller la vérité.
Ce brouillage ne se limite pas à la sphère politique : il infiltre aussi les arènes judiciaires, où la vérité devrait pourtant être reine.
1.11 Parallèle judiciaire : quand le gaslighting s’invite dans les procès
Ce mécanisme n’est pas réservé à la politique. On le retrouve aussi dans certains procès très médiatisés, où des accusés recourent à des stratégies similaires. Ils multiplient les contradictions, entremêlent des arguments disparates, inversent les rôles, jusqu’à ce que même les magistrats admettent leur difficulté à démêler le vrai du faux.
L’affaire de l’anesthésiste Péchier en est une illustration frappante : les juges ont reconnu à quel point ses propos créaient une impression de confusion. Dans l’affaire Jubillar, certains observateurs ont relevé le même type de brouillage, avec un récit fluctuant qui déstabilise enquêteurs et opinion.
Dans ces contextes, le gaslighting a une fonction précise : maintenir une impression de maîtrise, détourner l’attention des faits, et surtout éviter la confrontation avec ses propres peurs et responsabilités. Comme en politique, il s’agit avant tout d’un mécanisme de survie psychologique, une manière de protéger son ego verrouillé face à la menace d’un effondrement intérieur.
Pour mettre en parallèle ce qu’il se passe dans le couple face au gaslighting voir article peur
Mais le gaslighting ne date pas d’hier. L’histoire montre qu’il peut s’élever jusqu’à devenir un discours d’État.
1.12 Histoire : Vichy, un gaslighting d’État
Ce qui s’est passé en 1940, c’est une manipulation massive de la perception :
-Discours de Pétain : présenter la capitulation comme une « nécessité », un « sacrifice » pour protéger les Français.
-Gaslighting : transformer la défaite en choix rationnel, maquiller la soumission en acte de courage.
-Projection et inversion : ce n’était plus « nous avons été trahis » mais « nous avons besoin d’ordre, les résistants sont des fauteurs de trouble ».
-Effet : confusion collective → une partie de la population a adhéré à ce récit, persuadée qu’il s’agissait de « sauver la France », alors qu’il s’agissait en réalité d’une reddition.
La France fut le seul pays d’Europe à institutionnaliser cette capitulation sous un récit pseudo-patriotique. C’est exactement le rôle du gaslighting : rendre acceptable l’inacceptable.
En 1940, le maréchal Pétain a justifié la capitulation face à l’Allemagne nazie par un discours paternaliste et pseudo-rationnel. Il présentait la soumission comme une protection, et la collaboration comme une forme de courage. Ce fut l’un des gaslighting les plus massifs de notre histoire : transformer une reddition en récit de sauvegarde nationale, et retourner l’accusation contre ceux qui résistaient. Ce parallèle rappelle combien le gaslighting n’est pas seulement une arme rhétorique moderne, mais une mécanique ancienne, capable d’orienter le destin d’une nation entière.
Il ne s’agit pas d’assimiler des figures modernes à ces régimes, mais de montrer que le procédé, lui, est le même à travers l’histoire.
1.13 Histoire : l’inquisition
Loin d’être une invention moderne, ce procédé remonte bien avant le Moyen Âge. L’Inquisition en faisait largement usage : accuser d’hérésie, forcer l’aveu sous la torture, puis présenter l’exécution comme un acte de salut. L’inacceptable était rendu acceptable par une manipulation de la perception et une inversion des rôles.
Les procès de l’Inquisition sont un exemple historique puissant de gaslighting collectif, et bien plus ancien que celui de Moscou.
La mécanique est exactement la même :
-On accuse de crimes imaginaires (sorcellerie, hérésie, pacte avec le diable).
-On torture jusqu’à obtenir un aveu forcé → l’aveu devient « preuve » alors qu’il n’est que produit de la terreur et de la douleur.
-On inverse les rôles : la victime devient coupable, et l’institution se présente comme « protectrice » de la foi et de l’ordre.
-On offre une fausse issue : avoue et tu seras sauvé (au ciel, au purgatoire), refuse et tu brûleras (ici et après).
Résultat : un brouillage total entre réalité, croyance, et pouvoir → la domination est présentée comme un salut.
C’est l’un des gaslightings les plus massifs de l’histoire : transformer la violence institutionnelle en promesse spirituelle.
1.14 Autres gaslightings collectifs
L’histoire regorge d’exemples où le gaslighting a façonné non seulement des discours, mais le destin de nations entières :
- Les procès de Moscou (années 1930) : d’anciens alliés de Staline furent accusés de trahison et, sous la torture, « avouaient » des crimes imaginaires. Le régime transformait des innocents en coupables, semant la peur et légitimant les purges, et présentait ces aveux forcés comme « preuve de la trahison ».
- Le maccarthysme (États-Unis, années 1950) : Joseph McCarthy a bâti sa carrière sur la chasse aux communistes, mélangeant rumeurs, accusations sans preuve, il multipliait les accusations, amalgamant artistes, intellectuels et opposants politiques sous le label « communistes ». La société entière fut plongée dans un climat de suspicion paranoïaque. Le gaslighting politique a eu pour but de semer la peur en inventant une menace invisible omniprésente, au point de paralyser Hollywood, les médias et la société civile.
- La propagande coloniale : en Afrique ou en Asie, les puissances coloniales présentaient la domination comme une « mission civilisatrice ». L’asservissement économique et culturel était maquillé en progrès et protection, inversant totalement la réalité vécue par les colonisés.
Ces épisodes montrent une constante : le gaslighting collectif fabrique une réalité alternative qui paraît cohérente à ceux qui la vivent, mais qui sert avant tout à masquer les blessures et à maintenir un système de pouvoir.
Du couple aux nations, le mécanisme reste le même : la peur brouille, la clarté libère.
1.15 Conclusion
Le gaslighting politique est plus qu’une stratégie de communication : c’est une mécanique qui brouille la vérité et fabrique des ennemis imaginaires. Brutal ou feutré, il repose toujours sur la même logique : façonner la perception plutôt que s’appuyer sur les faits.
Cela peut rassembler à court terme (élections etc…), créer des héros, ou séduire par une illusion de cohérence. Mais à long terme, cela détruit la confiance collective et empêche de reconnaître les vraies injustices.
La seule issue est de revenir à une grille claire :
- distinguer la perception (mes filtres, mon ressenti), (voir article perception)
- de la perspective (la vision de l’autre),
- et surtout des faits (ce qui est vérifiable, documenté, partagé).
C’est ce retour aux faits qui permet de sortir du brouillard du gaslighting. Car sans faits communs, il ne reste plus que des récits qui s’affrontent, et la société s’enlise dans la peur et la défiance.
Un langage politique plus sain, fondé sur la clarté et la reconnaissance des blessures, est possible. C’est à cette condition que la confiance collective peut renaître.
Le gaslighting n’est jamais une force : c’est la peur d’un enfant blessé qui brouille la réalité pour ne pas souffrir à nouveau.
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