
Table des matières
1 Thucydide, la peur et l’orgueil : une lecture à la lumière de la grille EPS/EPV.
2 Introduction – Une grille antique de 2400 ans pour lire le présent
3 Le pouvoir des perceptions et des émotions.
4 Peur, orgueil et ego : la fabrique des conflits.
5 Perception verrouillée et passions hors de contrôle.
6 Le fort et le faible : une tragédie annoncée.
7 Peur et vengeance : quand le passé dicte le présent
8 Le déni et la perte de la raison.
9 Hubris et vengeance : le piège de l’EPV.
10 Quand la prudence s’effondre.
11 Ce que nous apprend Thucydide aujourd’hui
12 De Thucydide à Bustamante : un même constat, deux angles complémentaires.
V01-08/25
1 Thucydide, la peur et l’orgueil : une lecture à la lumière de la grille EPS/EPV
» La guerre n’est pas toujours née de la nécessité, mais souvent d’une erreur de perception mêlée à la peur et à l’orgueil » – Thucydide l’avait vu, la grille EPS/EPV l’explique.
Ce que Thucydide observait dans la Grèce antique, nous le voyons aujourd’hui dans les relations humaines et internationales
2 Introduction – Une grille antique de 2400 ans pour lire le présent
Il y a plus de deux millénaires, l’historien grec Thucydide observait les passions et les aveuglements qui précipitent les hommes et les nations vers la guerre. Bien avant nos débats modernes sur la psychologie du pouvoir, Thucydide, historien grec du Ve siècle avant notre ère, avait déjà mis en lumière les travers humains qui mènent les sociétés à la catastrophe.
Son récit de la guerre du Péloponnèse n’est pas un manuel sur » l’inévitabilité » de la guerre, mais une étude lucide sur les erreurs de perception, la peur, l’orgueil et la vengeance qui, combinés, précipitent les peuples dans l’abîme.
Ce regard antique rejoint directement la grille EPS/EPV : il montre comment les mécanismes émotionnels qui verrouillent les individus – peur, blessure non reconnue, projection – se rejouent à l’échelle des nations et de leurs dirigeants.
3 Le pouvoir des perceptions et des émotions
Dans les mots de TheConversation.com :
« Il (Thucydide) attire l’attention du lecteur sur le rôle des choix, des perceptions et des émotions des acteurs individuels. Son récit est rempli des réactions délétères que suscite la peur, des attraits de l’ambition, des échecs des dirigeants et, finalement, du naufrage tragique de la raison. «
Ce mécanisme, Thucydide l’observait dans les guerres antiques ; nous le retrouvons aujourd’hui dans les relations humaines, les dynamiques de pouvoir et les conflits politiques.
C’est là l’essence même de la grille EPS/EPV :
- EPS blessé : envahi par ses émotions, parfois enfermé dans la douleur de l’injustice subie, peinant à voir au-delà de son vécu immédiat.
- EPV : verrouillé dans une posture de contrôle, justifiant ses actes par sa propre vision, incapable de remise en question.
À l’échelle des États, cela donne des gouvernements ou des leaders qui décident non à partir des faits, mais selon leurs perceptions biaisées et leurs blessures collectives.
4 Peur, orgueil et ego : la fabrique des conflits
Thucydide ne décrit pas la guerre comme une fatalité, mais comme la conséquence de deux forces qui s’alimentent mutuellement : la peur et l’orgueil.
Là encore, la grille EPS/EPV éclaire le processus :
- L’EPV craint de perdre son statut ou sa domination → verrouillage, réactions défensives, justification anticipée de l’agression. Ce verrouillage s’appuie souvent sur l’ego, qui se persuade de » détenir la vérité » ou » la science infuse « , érigée en jugement absolu. Dans ce cadre, toute remise en question devient impensable – le déni sert alors de bouclier, et tout contre-argument est disqualifié.
- L’EPS, face à cette posture, peut se replier dans la peur ou réagir de manière désordonnée, ce qui valide aux yeux de l’EPV sa vision de » menace » et renforce sa conviction d’avoir raison.
Dans les deux cas, la perception prend le pas sur les faits, et la lucidité s’effondre.
5 Perception verrouillée et passions hors de contrôle
Toujours selon TheConversation.com, » Thucydide s’intéressait davantage aux raisons pour lesquelles la peur s’empare des esprits, à la façon dont l’ambition corrompt le jugement et à la manière dont les dirigeants – piégés face à des options toutes plus mauvaises les unes que les autres – se convainquent que la guerre est la seule voie possible. «
Ce constat rejoint parfaitement la grille EPS/EPV :
- L’EPV, sous l’emprise de sa blessure et de son verrou émotionnel, perçoit le monde comme une menace.
- La peur obscurcit la raison, rendant impossible une analyse lucide des faits.
- L’orgueil verrouille toute remise en question, même face à des preuves contraires.
6 Le fort et le faible : une tragédie annoncée
Thucydide rapporte cette formule glaçante : » Le fort fait ce qu’il veut et le faible supporte ce qu’il doit « .
Ce n’est pas une apologie du réalisme brutal, mais une lamentation tragique sur ce qui se produit lorsque le pouvoir du fort devient incontrôlé et que la justice est abandonnée.
La grille EPS/EPV éclaire ce mécanisme : lorsque l’EPV prend l’ascendant, ses blessures non traversées résonnent avec celles d’autres EPV, créant un effet d’alignement inconscient. Comme dans le phénomène des flying monkeys, (voir article wetwo.fr/deni) chacun va spontanément se ranger de son côté :
- Les blessures verrouillées se reconnaissent entre elles, et se valident mutuellement.
- Un maillage actif de contrôle se tisse, où le discours du fort devient la norme, et où toute voix dissidente est disqualifiée.
- La société, par ce biais, peut en arriver à condamner la véritable victime et à blanchir le persécuteur, ou à minimiser la portée réelle de l’injustice, en niant les faits ou en les requalifiant.
Pire encore : la victime est invisibilisée, le groupe ne la regarde plus, ne l’écoute plus, ne tient plus compte de son vécu. Toute l’attention est portée au bourreau – pour le défendre, le comprendre, ou le justifier. L’absence de regard sur la victime est le signe le plus sûr que le verrouillage collectif est en place : elle devient inexistante aux yeux du groupe, alors même que c’est elle qui subit la violence.
Dans ce contexte, le faible n’est pas seulement privé de justice : il est effacé de la mémoire commune. Ce processus d’invisibilisation est une double violence – celle de l’agression initiale, et celle du déni social qui la suit.
Une injustice niée est une injustice doublée.
7 Peur et vengeance : quand le passé dicte le présent
Thucydide écrivait que son récit » est rempli des réactions délétères que suscite la peur, des attraits de l’ambition, des échecs des dirigeants et, finalement, du naufrage tragique de la raison. C’est une étude sur l’hubris et la némésis – la folie de la démesure et la vengeance obsessionnelle – et non pas sur le déterminisme structurel des relations entre États. » (TheConversation.com).
Il notait aussi que » Mais Thucydide s’intéressait davantage aux raisons pour lesquelles la peur s’empare des esprits, […] les conflits surgissent souvent non par nécessité, mais par erreur d’analyse de la situation, mêlée à des passions détachées de la raison « . Autrement dit : lorsque la peur prend le contrôle, la lucidité s’effondre, et les choix deviennent irrationnels.
Dans la grille EPS/EPV, cette hubris se manifeste lorsque l’EPV, convaincu de sa vertu et de son bon droit, se donne le rôle du justicier. Mais derrière ce masque, c’est souvent une blessure ancienne qui s’exprime : un besoin de revanche qui n’a rien à voir avec la situation présente.
La peur qui guide alors ses choix n’est pas une peur rationnelle fondée sur les faits du moment, mais la peur réactivée de revivre la douleur passée :
Peur déclenchée par projection, où l’EPV confond un événement présent avec la blessure originelle.
Peur de faire face à cette blessure, car l’accueillir impliquerait une remise en question douloureuse. (voir article wetwo.fr/peur).
Cette peur et cette vengeance sont toutes deux déconnectées du temps réel. L’EPV croit agir pour se protéger ici et maintenant, alors qu’il rejoue en réalité un conflit ancien.
Tant que la perception n’est pas confrontée aux faits, elle reste une prison mentale.
Résultat : les réactions sont souvent disproportionnées, visant à » gagner » une bataille du passé plutôt qu’à résoudre le présent.
Ce glissement transforme la justice en prétexte, masque la véritable intention, et rend toute résolution durable impossible tant que la blessure initiale n’est pas reconnue et traversée.
8 Le déni et la perte de la raison
Toujours selon TheConversation.com :
» Les conflits surgissent souvent non par nécessité, mais par erreur d’analyse de la situation, mêlée à des passions détachées de la raison. «
C’est l’un des points les plus critiques : lorsque la perception est confondue avec la réalité, le déni s’installe.
Chez l’EPV, ce déni est un mécanisme de protection de l’ego et de l’identité. Chez l’EPS blessé, il peut se traduire par une focalisation exclusive sur sa douleur. Dans les deux cas, la décision qui en découle est déconnectée des faits.
TheConversation.com note : » Quand les nations laissent la peur obscurcir leur raison, quand les dirigeants délaissent la prudence au profit de postures et quand les décisions stratégiques sont guidées par la peur plutôt que par la lucidité… Thucydide nous rappelle à quel point la perception peut facilement devenir trompeuse et combien il est dangereux que des dirigeants, convaincus de leur vertu ou de leur caractère indispensable, cessent d’écouter les voix dissidentes. «
C’est exactement le mécanisme que la grille EPV/EPS décrit :
- La perception verrouillée (EPV) se confond avec la réalité.
- La contradiction est vécue comme une attaque.
- Les faits sont écartés s’ils ne servent pas le récit dominant.
9 Hubris et vengeance : le piège de l’EPV
La conclusion de TheConversation.com résume toute la mécanique : » C’est une étude sur l’hubris et la némésis – la folie de la démesure et la vengeance obsessionnelle. «
Dans la lecture EPS/EPV :
- L’hubris correspond à l’orgueil démesuré de l’EPV, persuadé de sa légitimité absolue.
- La némésis, ici, prend la forme d’une vengeance justifiée en apparence par la « justice » ou la « protection », mais qui n’est qu’une répétition du passé projetée sur le présent. (voir article wetwo.fr/ombre).
10 Quand la prudence s’effondre
Thucydide avertit que la guerre devient probable » quand la place réservée à la prudence et à la réflexion s’effondre face à la peur et à l’orgueil « .
Traduit dans notre grille :
- Sans confrontation honnête aux faits, la peur grossit, l’orgueil se rigidifie, et la perspective est impossible.
- Sans tiers extérieur pour ramener la discussion aux faits (médiateur, instance neutre, justice), le cycle peur/orgueil s’auto-alimente jusqu’au conflit ouvert.
11 Ce que nous apprend Thucydide aujourd’hui
L’enseignement de Thucydide, relu à la lumière de la grille EPS/EPV, est double :
- Le conflit n’est pas une fatalité – mais il le devient lorsque les acteurs restent enfermés dans leur perception, que la peur domine, et que l’orgueil empêche toute remise en question.
- Le socle des faits est vital – sans lui, la perspective est une illusion, et la justice devient impossible.
À l’échelle individuelle comme à celle des nations, c’est toujours le même mécanisme : quand la blessure gouverne, la raison s’efface.
12 De Thucydide à Bustamante : un même constat, deux angles complémentaires
L’analyse de Thucydide, telle que rappelée par TheConversation.com, rejoint la grille EPS/EPV et éclaire les limites du discours de Bustamante (voir article wetwo.fr/perception) sur la « perspective ».
Les deux parlent de perception, ici l’historien grec y ajoute peur, orgueil et erreurs d’analyse, et un élément capital : les faits.
Pour Thucydide, la catastrophe survient quand :
- La perception se coupe de la réalité extérieure ;
- La peur et l’orgueil supplantent la lucidité ;
- Les voix dissidentes sont étouffées ;
- La vengeance prend le pas sur la justice.
C’est exactement ce que la grille EPS/EPV souligne : la perspective authentique n’est possible que si les deux parties acceptent de confronter leur perception non seulement à une réalité partagée, mais surtout à la réalité factuelle, celle qui n’est ni altérée, ni manipulée par l’un ou l’autre.
La question qui se pose alors est : qu’est-ce que la réalité factuelle ?
Dans un monde idéal, elle serait l’ensemble des faits vérifiables, établis par une démarche objective, et non par l’opinion ou l’intérêt. Mais l’histoire montre que même les institutions chargées de l’établir, politiques, historiens, juristes, justice, peuvent la travestir, la minimiser ou la falsifier, consciemment ou non.
Dans ces cas, le danger est double :
- Les faits, censés être le socle commun, deviennent eux-mêmes un terrain de manipulation.
- Le consensus social ou institutionnel se confond avec la vérité, alors qu’il peut en être éloigné.
C’est pourquoi la vigilance face aux faits eux-mêmes est aussi importante que la vigilance face aux perceptions. La réalité factuelle authentique demande un examen critique constant, des sources variées, et la possibilité d’entendre les voix qui dérangent.
Là où Bustamante met l’accent sur l’ouverture de son regard, Thucydide – et l’EPS/EPV – rappellent que sans ancrage dans les faits, l’ouverture devient une faille exploitable, menant à la domination de l’EPV et à l’effacement de la justice.
Sans réalité factuelle, non déformée ni manipulée, la perspective devient une illusion et la justice un mirage.
Car sans socle commun incontestable, chacun peut réécrire l’histoire à sa convenance, et l’on glisse alors vers un monde où la force impose sa vérité, effaçant la voix des plus vulnérables.
Chacun possède sa réalité intérieure, mais factuellement, il n’existe qu’une seule réalité : la réalité extérieure, celle qui s’est réellement produite, infalsifiable car existante en dehors de nous-mêmes.
Tout le défi est de la reconnaître sans la déformer, car c’est elle qui constitue le seul repère commun sur lequel justice et vérité peuvent se fonder.
Source : article de TheConversation.com – » Ce qui conduit à la guerre : les leçons de l’historien Thucydide «
https://theconversation.com/ce-qui-conduit-a-la-guerre-les-lecons-de-lhistorien-thucydide-260274
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