L’un fuit la vulnérabilité, l’autre fuit l’invisibilité. Et c’est ainsi que naissent les drames humains.

Table des matières
2 Deux archétypes plus anciens que l’humanité.
3 Indestructible et Invulnérable, deux forces face à la mort
4 L’invulnérable : celui qui ne peut plus sentir
5 L’indestructible : celui qui survit à tout sauf à l’invisibilité.
6 Pourquoi ils se détestent instinctivement
7 Les deux ont un égo, qui n’est pas le même.
8 Pourquoi l’indestructible ne lâche jamais son rôle.
9 La tragédie : deux trajectoires incapables de se rencontrer
10 La seule sortie : redevenir humain avant d’être un rôle.
V01-12/25
1 Introduction
Il existe dans l’être humain deux forces archaïques qui traversent l’histoire, la famille, le couple, et parfois les conflits les plus violents. Elles sont si anciennes qu’elles agissent avant même que nous n’en ayons conscience.
Ce ne sont pas des rôles sociaux.
Il ne s’agit pas de personnes, il s’agit de stratégies archaïques que chacun peut incarner à différents moments de sa vie.
Ce ne sont pas des traits de caractère.
Ce sont des stratégies de survie imprimées dans le cerveau depuis des millions d’années.
Ces deux forces portent deux noms :
l’invulnérable et l’indestructible.
L’un s’est coupé de la vulnérabilité pour survivre.
L’autre s’est attaché à la sensibilité pour rester vivant.
Et quand ces deux profils se rencontrent, le drame n’est jamais loin.
Ces archétypes ne décrivent pas des personnes figées, ce sont des tendances de survie activées sous stress, que chacun peut porter à des degrés différents selon son histoire et les situations.
2 Deux archétypes plus anciens que l’humanité
Avant que nous soyons des individus, nous étions des mammifères.
Le cerveau porte encore en lui ces vieux réflexes du monde animal.
Lorsqu’une blessure, un manque ou une peur archaïque se réactive, l’humain redevient ce qu’il était il y a des millénaires : un être qui se protège, qui lutte, qui fuit ou qui se fige.
L’invulnérable et l’indestructible naissent de cette zone archaïque, celle où la survie passe avant la relation.
Et ce mécanisme se retrouve jusque dans notre neurobiologie.
Lorsque nous percevons un stimulus, le signal n’est pas traité d’abord par la raison, il est traité par le système limbique, en particulier l’amygdale, centre d’alerte émotionnelle.
Cette structure réagit en quelques millisecondes, environ 12 à 30 ms selon les études, bien avant que le cortex conscient ne prenne le relais pour analyser la situation.
Autrement dit, le cerveau archaïque répond avant l’humain conscient.
Aucun de ces schémas n’est une réussite humaine : ce sont deux manières différentes de survivre quand le lien devient trop dangereux.
3 Indestructible et Invulnérable, deux forces face à la mort
Il existe une différence essentielle entre l’indestructible et l’invulnérable.
Cette différence n’a rien à voir avec la force apparente.
Elle touche à la manière dont chacun se rapporte à la mort, à l’effondrement et à la transformation intérieure.
Le terme « indestructible » est utilisé ici volontairement. Il ne désigne pas une absence de chute ou de blessure, c’est la capacité à traverser la destruction sans disparaître.
L’indestructible : celui qui renaît
L’indestructible n’est pas quelqu’un qui éviterait la chute ou la souffrance.
C’est quelqu’un qui les a traversées.
Il a connu les morts symboliques : le rejet, la solitude extrême, la trahison, l’humiliation, la disparition du lien.
Et pourtant, il s’est relevé.
Il n’a pas peur de la mort, car il l’a déjà vécue intérieurement.
Il sait que l’effondrement n’est pas la fin.
Il sait que quelque chose en lui peut renaître.
L’indestructible accepte la vulnérabilité, accepte d’être blessé, touché, transformé.
Sa force vient de cette capacité de résilience qui lui permet de renaître de ses cendres comme un phénix.
Ce qu’il craint, ce n’est pas la mort, c’est l’effacement : disparaître aux yeux de l’autre, perdre toute existence symbolique.
L’invulnérable : celui qui ne peut pas tomber
L’invulnérable, lui, n’a jamais traversé la « mort intérieure ».
Il n’a jamais affronté l’effondrement du soi, la perte absolue, la chute qui oblige à renaître.
Cette expérience lui est inconnue et elle le terrifie.
Il craint la mort, non pas la mort biologique, la mort émotionnelle.
La mort du contrôle. La mort de l’image. La mort de son armure interne.
L’invulnérable fuit la vulnérabilité comme un danger absolu, parce qu’elle pourrait ouvrir une brèche vers cet effondrement qu’il n’a jamais traversé.
Il ne veut pas être blessé, touché, altéré ou transformé.
Il s’agrippe à son identité, à son contrôle, à sa rigidité.
Et parce qu’il n’a jamais connu l’effondrement, il préfère parfois « donner la mort » symbolique à l’autre pour éviter d’avoir à la traverser lui-même.
Détruire l’autre devient alors un moyen archaïque de ne pas être détruit.
Deux forces opposées face à la mort :
-L’indestructible n’a pas peur de la mort car il en a déjà survécu symboliquement.
-L’invulnérable en a une peur panique car il ne l’a jamais affrontée.
-L’un renaît.
-L’autre ne tombe jamais.
-L’un accepte la transformation.
-L’autre la fuit.
-L’un vit. L’autre se protège de la vie.
Deux stratégies archaïques, deux manières de survivre, deux peurs opposées.
Et c’est leur rencontre, souvent, qui crée les drames humains.
4 L’invulnérable : celui qui ne peut plus sentir
L’invulnérable n’est pas fort.
Il est anesthésié.
Il a appris un jour que ressentir était trop douloureux.
Alors il a fait ce que son système interne lui a ordonné :
il a fermé. Il a verrouillé. Il a figé. Son égo et le déni le protègent de toute ouverture intérieure.
Ce verrouillage est devenu une armure.
L’invulnérable : fuit la vulnérabilité, fuit l’émotion, fuit l’intimité, fuit tout ce qui l’obligerait à ressentir, fuit ce qui menace l’image qu’il tient debout.
Pour lui, la vulnérabilité n’est pas une ouverture.
C’est un gouffre. C’est une chute. C’est un danger de mort psychique. Voir une descente dans la folie.
Alors il se ferme davantage.
Et il dénigre ceux qui osent sentir, parce qu’ils réveillent en lui ce qu’il a dû détruire pour survivre.
5 L’indestructible : celui qui survit à tout sauf à l’invisibilité
L’indestructible est tout l’inverse.
Il ne s’est pas coupé.
Il a résisté.
Il a encaissé ce que personne ne devrait avoir à vivre.
Il a porté la charge émotionnelle de toute une famille, d’un parent, d’un système.
Il a survécu là où tant d’autres se seraient effondrés.
Mais sa plus grande force a un prix :
la sensation d’exister uniquement dans la douleur.
L’indestructible possède un égo, un égo fragile, bas, presque discret.
Cet égo repose sur une seule chose : son rôle.
Celui qui tient. Celui qui encaisse. Celui qui sauve. Celui qui survit. Celui qui ne tombe jamais. S’il abandonne ce rôle, il ne devient pas libre. Il devient invisible.
Et pour lui, l’invisibilité est une forme de mort, la destruction par l’ignorance, le rejet du clan.
C’est pour cela qu’il reste dans des rôles sacrificiels sans le vouloir.
Il ne veut pas être victime. Etre sacrifié, au moins, le rend visible.
Au moins, il existe aux yeux de l’invulnérable.
6 Pourquoi ils se détestent instinctivement
Ce qu’ils fuient chez l’autre n’est pas l’autre.
C’est leur propre blessure.
L’invulnérable rejette l’indestructible parce qu’il voit en lui la vulnérabilité qu’il ne peut plus supporter.
L’indestructible rejette l’invulnérable parce qu’il voit en lui la froideur qui l’a détruit toute sa vie.
Ils sont face à face, et en réalité ils se battent contre un miroir inversé.
7 Les deux ont un égo, qui n’est pas le même
L’indestructible n’a pas l’égo écrasant de l’invulnérable.
Il a un égo bas, fragile, construit uniquement autour de son statut symbolique.
L’invulnérable a l’égo du dominant.
L’indestructible a l’égo du sacrifié.
Et ce qui est fascinant et tragique, c’est que :
-L’un ne peut pas perdre sa supériorité
-L’autre ne peut pas perdre sa visibilité
Ce sont deux chaînes, deux prisons, deux identités collées à la peau.
8 Pourquoi l’indestructible ne lâche jamais son rôle
Ce rôle n’est pas choisi. Il est inscrit.
S’il cesse d’être celui qui tient, il disparaît du paysage émotionnel de l’invulnérable.
Ce n’est pas une crainte imaginaire.
C’est un mécanisme profondément primaire :
chez les mammifères, celui qui n’a plus de rôle devient transparent.
Il n’existe plus dans la hiérarchie du groupe. Le rejeté du groupe ou du clan est condamné à mourir seul.
Chez l’indestructible, cela se traduit ainsi :
tant qu’il souffre, il existe. S’il arrête de souffrir, il n’existe plus pour l’autre.
C’est le paradoxe tragique de l’EPS sacrificiel (voir article wetwo.fr/enfant).
9 La tragédie : deux trajectoires incapables de se rencontrer
L’invulnérable ne peut pas descendre dans la vulnérabilité.
L’indestructible ne peut pas remonter vers l’indifférence.
L’un est trop fermé. L’autre trop ouvert.
Paradoxalement, cette dynamique peut former un couple toxique qui tient parfois pendant des années.
L’invulnérable y trouve un partenaire qui encaisse, répare et renaît.
L’indestructible y trouve un rôle, une utilité, parfois une illusion de sens.
Ce type de relation repose sur un déséquilibre profond.
L’indestructible à long terme s’y trouve étouffé, effacé, comprimé dans sa capacité d’exister (comme une grenouille dans l’eau chaude qui continue de chauffer).
Lorsque cette pression devient insoutenable, la seule issue saine pour lui est la sortie de la relation.
Dans certaines configurations extrêmes, cette dynamique peut contribuer à des impasses relationnelles graves, allant jusqu’à des violences irréversibles. C’est la tentative la plus archaïque de supprimer ce qui menace la survie interne. Ce n’est pas de la haine.
Dans ces dynamiques, l’ego joue un rôle central.
L’invulnérable se vit souvent comme humilié, non pas parce que l’autre le méprise consciemment, mais parce que son fonctionnement relationnel devient incompréhensible pour son partenaire.
Les stratégies de gaslighting, de chaud-froid ou de contrôle, qui relèvent de mécanismes de défense inconscients liés à un besoin de maîtrise, lorsqu’elles ne produisent plus l’effet attendu, sont perçues comme un échec personnel.
Cette incompréhension est alors interprétée comme une mise en défaut, vécue intérieurement comme : « on me prend pour un imbécile ».
Cette blessure narcissique réactive une peur archaïque de perdre toute maîtrise du lien.
La reprise de pouvoir devient alors une tentative désespérée de restaurer une image de soi déjà fragilisée.
Dans des configurations extrêmes, lorsque aucun retrait n’est possible et que la tension s’accumule sans régulation, ce mécanisme peut contribuer à des passages à l’acte violents.
Il ne s’agit ni d’une justification, ni d’une fatalité, mais d’un éclairage sur un terrain psychique à haut risque.
Il ne s’agit pas d’une explication unique ni d’une justification, il s’agit d’un éclairage sur des mécanismes psychiques parfois présents en amont.
Rester par loyauté, espoir ou habitude ne protège plus : cela prolonge le mécanisme.
10 La seule sortie : redevenir humain avant d’être un rôle
Il n’y a qu’une seule issue :
-l’invulnérable doit réapprendre à sentir, même s’il pense que cela va le tuer,
-l’indestructible doit renoncer à sa mission sacrée d’exister par la souffrance.
L’un doit accepter de descendre.
L’autre doit accepter de s’élever.
C’est un travail bouleversant pour les deux.
C’est la seule voie pour sortir de ces carcans millénaires.
Ce n’est pas un combat entre deux forces opposées.
C’est un combat entre deux enfants perdus. (voir article wetwo.fr/enfant)
Ces bascules sont rares, difficiles, cependant possibles. Elles demandent un accompagnement du temps et une sécurité émotionnelle suffisante.
11 Conclusion
L’invulnérable et l’indestructible ne sont pas des rôles sociaux.
Ce sont des stratégies archaïques.
Deux réponses opposées à une même blessure.
Deux manières de survivre dans un monde où l’humain s’est fragmenté.
Comprendre ces deux archétypes, c’est comprendre :
les couples toxiques,
les enfants sacrifiés,
les tyrans et les martyrs,
les guerres,
les mécanismes d’obéissance,
les drames familiaux,
les sacrifices émotionnels,
les relations impossibles,
les relations toxiques
et certaines formes de tragédies humaines, de violences collectives qui se rejouent encore aujourd’hui.
Ces dynamiques ne se limitent pas à la sphère intime.
On les retrouve, à des échelles différentes, dans l’histoire des groupes, des idéologies et des régimes fondés sur la peur, l’exclusion ou la déshumanisation.
Ce combat n’est pas nouveau.
Il s’enracine dans des mécanismes archaïques de survie et de domination, profondément inscrits dans le fonctionnement humain.
Tant qu’ils ne sont pas reconnus, ils se répètent.
Les voir, c’est déjà commencer à s’en libérer.
Tant que ces mécanismes ne sont combattus qu’à l’extérieur, ils se reproduisent.
La sortie durable commence toujours par un travail intérieur.


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