Du lien intime aux dynamiques collectives

Table des matières
1 Quand l’inversion des valeurs dans l’amour prépare l’inversion des valeurs dans la société.
1.1 L’inversion des valeurs dans l’amour conditionnel
1.2 Ce que le cerveau enregistre.
1.3 Du lien intime au lien collectif
1.4 Pourquoi ces systèmes semblent rationnels.
1.5 Les idéologies comme systèmes de protection.
1.7 Une autre base est possible.
V01-12/25
1 Quand l’inversion des valeurs dans l’amour prépare l’inversion des valeurs dans la société
Il existe une phrase que beaucoup d’enfants ont entendue, parfois sous des formes très différentes :
« C’est pour ton bien. »
Derrière ces mots peuvent se cacher des réalités très diverses.
Mais dans certains contextes, cette phrase a servi à justifier la blessure, l’humiliation, la peur ou le contrôle, au nom de l’amour.
Ce mécanisme laisse une empreinte profonde.
1.1 L’inversion des valeurs dans l’amour conditionnel
Quand un enfant grandit dans un environnement où l’amour est conditionnel, il apprend une chose essentielle, sans mots ni théorie.
Il apprend que :
-faire mal peut être présenté comme une preuve de bien,
-contrôler peut être présenté comme une forme de protection,
-nier l’émotion peut être présenté comme une éducation,
-humilier peut être présenté comme un moyen de faire grandir.
L’amour n’est plus associé à la sécurité.
Il est associé à la peur, à la blessure, à la conformité.
C’est une inversion des valeurs relationnelles.
1.2 Ce que le cerveau enregistre
Le cerveau ne raisonne pas en termes moraux.
Il apprend par association émotionnelle.
Si l’amour est lié à la douleur, à la peur ou à l’effacement, ces éléments deviennent intégrés au lien.
Ils deviennent familiers.
Ils deviennent normaux.
Ce n’est pas une idéologie.
C’est un apprentissage.
Le développement émotionnel fonctionne aussi par le regard qui accueille ou qui juge.
Un enfant grandit différemment selon la manière dont ses émotions sont vues.
Lorsqu’un regard est sécurisant et indulgent, l’enfant peut ressentir sans danger.
Il apprend que l’émotion ne met pas le lien en péril.
Lorsqu’un regard est humiliant, conditionnel ou menaçant, l’enfant apprend autre chose :
il apprend que l’émotion est dangereuse.
Plus tard, cela peut conduire soit à reproduire inconsciemment l’humiliation et le contrôle, soit à les tolérer, voire à les rechercher inconsciemment, non par désir de souffrir, mais par reproduction automatique d’un schéma relationnel appris très tôt, où l’humiliation ou le rabaissement ont été confondus avec le lien d’attachement.
1.3 Du lien intime au lien collectif
Ce qui est appris dans l’intime ne disparaît pas à l’âge adulte.
Il se généralise.
Le même mécanisme d’inversion peut alors s’observer à l’échelle collective :
- exclure pour protéger,
- contraindre pour maintenir l’ordre,
- écraser pour préserver la cohésion,
- faire peur pour gouverner.
La violence est alors présentée comme nécessaire.
L’injustice comme raisonnable.
La déshumanisation comme pragmatique.
La société ne fait que mettre à l’échelle des schémas émotionnels appris très tôt.
1.4 Pourquoi ces systèmes semblent rationnels
Une société construite sur la peur ne se vit pas comme violente.
Elle se vit comme réaliste.
Elle valorise :
-le contrôle plutôt que le lien,
-la performance plutôt que la sensibilité,
-la conformité plutôt que la singularité,
-la force plutôt que la vulnérabilité.
Tout ce qui rappelle l’émotion devient suspect.
Tout ce qui questionne le cadre devient dangereux.
Beaucoup de choses s’éclairent à l’aune de ces dynamiques.
Elles permettent de comprendre une grande partie des conflits individuels, relationnels et, par prolongement, sociétaux.
Lorsque le cadre a été appris comme seule protection possible,
tout ce qui le questionne devient dangereux.
La sensibilité est perçue comme une menace,
la remise en question comme une attaque,
et la complexité comme un risque.
L’inversion des valeurs est alors complète.
1.5 Les idéologies comme systèmes de protection
Les idéologies, quelles qu’elles soient, ne naissent pas d’un vide.
Elles émergent souvent comme des réponses collectives à une peur diffuse.
Elles promettent :
-de la sécurité,
-de l’ordre,
-une identité claire,
-une simplification du réel.
Une grande partie de ce qui se structure sous forme de systèmes identitaires rigides ou de doctrines excluantes repose sur le même mécanisme de protection:
la peur de l’autre, la peur de la complexité, la peur de l’émotion.
Lorsqu’ils reposent sur la négation de l’émotion et de la complexité humaine, ces systèmes reproduisent exactement le schéma de l’amour conditionnel :
la souffrance est justifiée au nom d’un bien supérieur.
Plus un système promet une identité simple, un cadre fermé et des réponses définitives,
plus il attire des individus en quête de sécurité intérieure.
1.6 Comprendre sans accuser
Comprendre ce mécanisme ne consiste pas à désigner des coupables.
Il s’agit de voir une continuité.
La violence collective n’est pas une anomalie isolée.
Elle est souvent la prolongation logique d’une pédagogie émotionnelle fondée sur la peur.
Changer les lois sans changer ce socle émotionnel ne suffit pas.
Les formes changent, le mécanisme demeure.
1.7 Une autre base est possible
Une société ne devient pas plus humaine par injonction morale.
Elle le devient quand le lien cesse d’être conditionné par la peur.
Lorsque l’émotion n’est plus perçue comme une menace,
le besoin de contrôle diminue.
La violence perd sa justification.
L’autre cesse d’être un danger.
L’inversion des valeurs n’est pas une fatalité.
C’est un apprentissage.
Et tout apprentissage peut, un jour, être questionné.
1.8 Pour finir
Ce que nous tolérons dans l’amour, nous finissons par le tolérer dans la société.
Et ce que nous guérissons dans le lien intime transforme, lentement, le collectif.
Les révolutions les plus profondes ne commencent pas dans la rue.
Elles commencent dans la manière dont un être humain apprend, très tôt, ce que signifie aimer, aimer d’un amour plein, entier et inconditionnel.
Ces dynamiques collectives ne naissent pas de nulle part.
Elles prennent racine dans des empreintes beaucoup plus intimes, souvent invisibles, qui continuent d’agir en chacun de nous bien après l’enfance.
Le dernier article de cette série propose d’explorer ces blessures invisibles,
non pour s’y réduire, mais pour comprendre ce qui se rejoue derrière nos réactions.


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