Quand l’EPV déplace le débat sur l’expression pour éviter d’entendre l’émotion, la CNV peut devenir une arme subtile de déni, transformant la vibration vivante de l’EPS en faute de langage.

Table des matières

1       Quand la forme prend le pas sur le fond : le piège invisible de la communication centrée sur l’expression.

1.1        La promesse de la CNV.

1.2        Le biais caché : la forme comme instrument de contrôle (EPV)

1.3        L’effet sur l’EPS : la disqualification subtile.

1.4        Exemples concrets.

1.5        Le vrai sujet : le ton émotionnel

1.6        Connecté vs hypersensible : deux chemins différents.

1.7        Le piège de l’inversion accusatoire.

1.8        Comment en sortir ?

1.9        Une sagesse oubliée : voir avec le cœur

1.10     La limite cachée de la CNV.

1.11     L’enjeu réel : écouter sans projection.

1.12     Conclusion.

V01-09/25

On croit souvent que mieux  » formuler  » suffit à apaiser un échange.

Mais que se passe-t-il quand le problème n’est pas la phrase… mais l’émotion qui la porte ?

C’est là que la CNV peut se transformer en piège invisible : un masque de forme qui étouffe le fond.

1          Quand la forme prend le pas sur le fond : le piège invisible de la communication centrée sur l’expression

1.1           La promesse de la CNV

La Communication Non Violente (CNV), popularisée par Marshall Rosenberg, s’est imposée comme un outil phare. Elle propose d’apprendre à exprimer ses besoins sans violence, à choisir des mots plus justes, à désamorcer les conflits. L’intention est précieuse : offrir un langage qui facilite le dialogue et la compréhension mutuelle.

1.2           Le biais caché : la forme comme instrument de contrôle (EPV)

On pense que la Communication Non Violente est la solution miracle pour apaiser les relations.

Quand elle devient une norme rigide, elle peut se transformer en une manière subtile de faire taire l’émotion au nom de la  » bonne forme « .

La CNV a ouvert une voie précieuse, mais si on se focalise uniquement sur les mots, on passe à côté de l’essentiel : la vibration émotionnelle qui habite la parole.

Comme l’écrivait Saint-Exupéry :  » On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. « 

Et dans nos échanges, c’est exactement là que tout se joue : écouter avec le cœur, pas seulement avec les oreilles qui scrutent la forme.

Un biais profond apparaît quand la CNV devient une norme : la focalisation sur la forme.

Un Enfant Perdu Verrouillé (EPV) (voir article wetwo.fr/invisible), animé par la peur et l’égo, a un réflexe typique : éviter le fond en déplaçant la conversation sur la manière dont l’autre parle.

C’est là qu’apparaît la phrase classique :

 » Je n’aime pas ta façon de le dire. « 

Derrière cette apparente exigence de clarté, il y a un mécanisme de déni :

  • Le fond (l’émotion, la blessure, l’inquiétude) est évité.
  • Le ton émotionnel est vécu comme insupportable.
  • Le débat se déplace vers la forme, pour garder le contrôle.

1.3           L’effet sur l’EPS : la disqualification subtile

L’Enfant Perdu Sensible (EPS), lui, parle avec ses tripes. Sa parole est vibrante, incarnée. Il dit ce qu’il ressent, parfois maladroitement, mais avec sincérité.

Face à un EPV, il se heurte à une double disqualification :

  1. On nie son fond ( » Ce n’est pas ce que tu dis qui compte « ).
  2. On censure son ton émotionnel ( » C’est ta façon de le dire qui pose problème « ).

Résultat : l’EPS sort culpabilisé, convaincu qu’il s’exprime mal, alors qu’il était simplement vivant et authentique.

1.4           Exemples concrets

Scène 1 – L’inquiétude niée

  • EPS :  » Sa cheville a encore gonflé, je suis inquiet, il faudrait peut-être un contrôle médical. « 
  • EPV :  » Je n’aime pas ta façon de le dire. Et je sais que ta façon de le dire va être mal perçue par d’autres. « 

L’inquiétude légitime est effacée. L’EPV détourne le sujet en critiquant non seulement la forme, mais aussi l’impact supposé du message, renforçant le sentiment de culpabilité de l’EPS.

  • Scène 2 – Le rejet disqualifié
  • EPS :  » J’ai entendu que j’ai mal formulé ma phrase, mais as-tu entendu la question de fond que j’ai posée ? « 
  • EPV :  » Tu formules ça comme une accusation. « 

Le fond de la question disparaît, balayé par un reproche technique.

  • Scène 3 – Le besoin corrigé
  • EPS :  » J’aurais besoin que tu sois plus présent avec moi. « 
  • EPV :  » Tu devrais dire : « Mon besoin est ta présence. » « 

Le besoin réel est remplacé par une leçon de langage.

  • Scène 4 – Le cercle vicieux
  • EPS :  » Tu ne comprends pas ce que je ressens ! « 
  • EPV :  » Si tu t’exprimais correctement, je comprendrais. « 

Le reproche de non-compréhension est retourné contre l’EPS, enfermant la discussion dans une boucle sans fin.

1.5           Le vrai sujet : le ton émotionnel

Ce qui dérange réellement l’EPV, ce n’est pas tant la forme des mots que leur charge émotionnelle.

  • Un texte dit sans émotion, même froid, sera bien reçu.
  • Le même texte dit avec une vibration authentique sera rejeté.

C’est là la supercherie : l’EPV accuse la forme, alors que ce qu’il fuit, c’est le fait que l’autre vive et ressente.

1.6           Connecté vs hypersensible : deux chemins différents

Toutes les personnes reliées à leurs émotions ne vivent pas la même chose.

  • Certaines ont appris à sentir sans être débordées. Elles accueillent leurs émotions, les reconnaissent, mais savent les exprimer de manière régulée. Cela leur permet de rester connectées tout en s’intégrant plus facilement dans une société qui valorise la maîtrise.
  • D’autres, souvent hypersensibles, vivent leurs émotions avec une intensité telle qu’elles les expriment dans toute leur vibration. Elles ne « disent » pas seulement : elles ressentent ce qu’elles disent, et cela se voit, cela s’entend, cela se sent.

C’est là que le malentendu naît :

  • L’EPS hypersensible porte une parole vivante et vibrante, qui cherche un écho.
  • L’EPV, habitué à minimiser son besoin de lien, vit cette intensité comme une intrusion ou une agression intérieure.

Ce n’est pas une agression réelle, mais une réactivation de son passé enfoui :

  • L’EPS dit :  » Ressens avec moi, écoute-moi vraiment. « 
  • L’EPV entend :  » On vient forcer l’accès à une part de moi que j’ai dû enterrer. « 

C’est ce décalage qui rend la communication si douloureuse : la vibration de l’un devient la menace de l’autre.

1.7           Le piège de l’inversion accusatoire

Ce déni va plus loin : l’EPV accuse l’EPS d’être dans le reproche ou dans l’agression.

Ainsi, celui qui exprime sa douleur devient le fautif. C’est le cœur de l’inversion accusatoire :  » Tu me fais du mal en me parlant de ton mal. « 

1.8           Comment en sortir ?

  • Remettre le fond au centre : écouter l’émotion, même si la forme est maladroite.
  • Nommer la mécanique :  » Est-ce que tu réagis à ce que je ressens, ou à ma manière de le dire ? « 
  • Accueillir la vibration : accepter qu’une parole vivante vibre, et que ce n’est pas une menace mais un signe d’authenticité.

1.9           Une sagesse oubliée : voir avec le cœur

Antoine de Saint-Exupéry écrivait dans Le Petit Prince :

 » On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. « 

Dans nos relations, c’est la même chose : l’essentiel est invisible pour l’oreille rationnelle qui scrute la forme.

On ne comprend vraiment qu’avec le cœur – en accueillant la vibration émotionnelle qui habite l’autre.

L’EPV, prisonnier de son verrouillage, ne voit que les mots et leur enchaînement logique. Il croit analyser la phrase, alors qu’il passe à côté de l’essentiel : l’émotion qui la porte.

L’EPS, lui, parle avec le cœur. Mais sa voix vibrante est souvent censurée sous prétexte qu’ » elle n’est pas bien dite « .

C’est là le paradoxe tragique : ce qui est vivant, parce que trop ressenti, est perçu comme une menace, et donc rejeté.

1.10      La limite cachée de la CNV

Lorsqu’un EPV s’approprie la CNV, il l’utilise pour exiger de l’autre une communication aseptisée.

Son message implicite est :  » Je t’écouterai si tu enlèves la charge émotionnelle de ce que tu dis. « 

Pour un EPS, c’est une injonction impossible.

Sa parole est vivante, vibrante, chargée de ce qu’il ressent.

Lui demander de  » bien dire  » revient à lui demander de ne plus ressentir.

C’est là le paradoxe : la CNV, censée pacifier les relations, peut devenir une violence subtile quand elle est utilisée pour lisser les émotions plutôt que pour les accueillir.

1.11      L’enjeu réel : écouter sans projection

Le vrai défi n’est pas de trouver la bonne  » forme  » pour s’exprimer.

Le vrai défi est d’apprendre à écouter sans projeter.

Écouter sans projeter, c’est :

  • Ne pas réduire la parole de l’autre à une agression quand il exprime une douleur.
  • Ne pas inventer d’intentions cachées, mais accueillir ce qui est dit au premier degré.
  • Accepter que l’autre parle avec ses émotions, et que cela puisse vibrer fort sans être une attaque.

Le reproche  » Tu formules mal « , ou  » Tu m’accuses « , dit souvent plus de celui qui le prononce que de celui qui s’exprime.

Il révèle une projection : l’incapacité à accueillir ce qui résonne douloureusement en soi.

Écouter le fond, c’est donc écouter sans faire porter à l’autre ce qui appartient à notre propre histoire.

1.12      Conclusion

Ce n’est pas la forme qui blesse ou qui sauve.

C’est la capacité à accueillir le fond, même quand il est porté par une intensité émotionnelle.

La CNV peut être un outil précieux, mais elle devient un masque dangereux si elle sert à censurer l’émotion plutôt qu’à l’écouter. Elle devient une illusion dangereuse si elle masque le vrai enjeu : apprendre à entendre la vibration du vivant, plutôt que de la réduire au silence sous prétexte de « bonne communication »

Antoine de Saint-Exupéry écrivait :

 » On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. « 

De la même façon, on ne comprend vraiment l’autre qu’avec le cœur, le corps, en entendant ce qu’il vit, et non en corrigeant comment il le dit.

L’essentiel est invisible pour l’oreille rationnelle qui ne veut entendre que la forme.

C’est seulement en accueillant la vibration émotionnelle, parfois maladroite mais toujours sincère, que l’on ouvre un vrai espace de rencontre.

La CNV peut être un outil, mais elle devient une illusion dangereuse si elle masque le vrai enjeu : apprendre à entendre la vibration du vivant, plutôt que de la réduire au silence sous prétexte de « bonne communication ».


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